26 novembre 2014

Le voyage de Dadis

   Le 28 septembre 2009, répondant à l'appel des leaders politiques de l'opposition, plusieurs dizaines de milliers de guinéens se rendent pacifiquement au plus grand stade de Conakry, le stade du 28 septembre (date clé de l'indépendance du pays). Moussa Dadis Camara, chef d'une junte militaire, est installé au pouvoir depuis plusieurs mois. Il sait que ces manifestations sont dirigées contre lui, et notamment contre son projet de se présenter aux élections présidentielles que les guinéens attendent avec fébrilité. Il interdit les manifestations, en vain, et la répression est extrêmement violente. Des centaines de manifestants sont blessés, au moins 157 décèdent, des dizaines de femmes sont violées, des milliers de guinéens sont traumatisés.


 
   La communauté internationale s’inquiète alors du sort que va pouvoir connaître le pays. Une série de télégrammes diplomatiques américains, publiés par wikileaks et relayés par plusieurs organes de presse, dont Le Monde et Jeune Afrique, révèlent l'aventure rocambolesque de ce dictateur que le conseiller Afrique du ministère français des Affaires étrangères qualifie alors de « fou » et de « dangereux ».


   Français et américains « conviennent que Dadis Camara doit être écarté du pouvoir » et cherchent un pays prêt à l'accueillir. Le Maroc est envisagé, Dadis y cache une grande partie de sa fortune, mais Rabat ne semble pas disposé à le recevoir. Pourtant le 3 décembre 2009, il est évacué d'urgence vers la capitale du royaume qui n'en est pas informé mais qui l'accepte finalement pour des raisons humanitaires.


 
   Le chef de junte vient en effet d'être victime d'une tentative d'assassinat par son aide de camp. Il est gravement blessé, des fragments de balles ont été retirés de son crâne, et d'après le ministre marocain des affaires étrangères il est « conscient » mais tient des propos « incohérents ». Il aurait encore une balle dans la tête et souffrirait d'une vision et d'une locution affaiblies. Les marocains hésitent à laisser Dadis rentrer dans son pays, cependant ils ne souhaitent pas le remettre eux-même à la CPI pour des raisons diplomatiques entre la Guinée et le Maroc. Pour Rabat, la meilleure solution reste alors un rapatriement en Guinée mais Washington insiste lourdement pour que Dadis reste dans le royaume le plus longtemps possible.


   Le 5 janvier, le pouvoir de Dadis Camara est transféré au général Sékouba Konaté qui en échange du soutien de la France et des États-Unis s'engage à ce que Dadis ne soit pas autorisé à rentrer en Guinée. Ce dernier qui a toujours du mal à s'exprimer aurait recouvré « 80 % de ses facultés » et commencerait à se demander ce qu'il fait encore à l’hôpital. Rabat, plus que jamais décidé à s'en débarrasser aurait appelé le chef d'état du Gabon pour lui demander de l'accueillir, ce que Ali Bongo Ondimba refuse. Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères aurait demandé la même chose à Denis Sassou-Nguesso le président du Congo. On s'adresse à l'Arabie Saoudite, on évoque le Sénégal, le Burkina Faso, la Gambie, mais aucune solution ne semble s'imposer. Seule la Libye serait prête a l’accueillir, ce qui n'emballe pas les occidentaux...
   Le roi du Maroc décide alors d'envoyer Dadis à Ouagadougou et ce dernier décolle dans un avion médicalisé en pensant rentrer au pays.
   Le président du Burkina-Faso, Blaise Compaoré, informé peu de temps avant l’atterrissage, fait savoir qu'il ne garderai pas le convalescent plus de 5 jours.
   Aujourd'hui Dadis vit toujours en exil à Ouagadougou. Il a fait un séjour dans sa région natale l'an passé pour les obsèques de sa mère mais attend une heure plus propice pour rentrer définitivement au pays. Les enquêtes sur les massacres du 28 septembre 2009 se poursuivent lentement...




23 octobre 2014

Tingatinga

   Résultat chimique de la pluie sur la poussière, piétinements de bovidés sauvages associés aux rugissements de leurs prédateurs ou invisible action d'une terre de diamants sur l'âme humaine, les hauts plateaux des confins Sud-tanzaniens sont un environnement propice à la création. C'est ici que sont installés, entre autres, les Makondé, dont les statuettes de palissandre font la renommée dans toute l'Afrique de l'Est, et les Makua. Deux ethnies qui sont, par ailleurs, très répandues de l'autre coté de la frontière au Mozambique.




   Edward Said Tingatinga (1937-1972), d'éthnie Makua par sa mère, est le fondateur d'une école de peinture de style naïf connue aujourd'hui dans le monde entier. Il est né à Nakapanya (qui s'appelait à l'époque Namochelia), un village près de la ville de Tunduru, dans une famille de paysans pauvres.
En 1955, il arrive à Dar es Salaam et travaille comme domestique chez des fonctionnaires européens jusqu'en 1961, date à laquelle l'indépendance le met au chômage. Inspiré par la tradition picturale de sa région de naissance où l'on peint les murs des maisons en utilisant des couleurs d'origine végétale et minérale, il se lance dans la création artistique. Probablement sensible au succès des peintures en provenance du Congo voisin, l'idée lui vient de peindre avec de la laque sur des plaques d'isorel (panneau de bois) de 60x60. 

Ainsi naquit sa première œuvre carrée et un style artistique dit « Tingatinga » dont je me suis inspiré pour le dessin suivant.




   Ses thèmes favoris sont des scènes de village, des animaux et des plantes. Ce sont des sujets largement appréciés par les touristes occidentaux qui sont la principale clientèle. Les peintures sont en général de petite taille afin d'être aisément transportables et le style original et exotique correspond à l'attente des voyageurs. Des lions sont représentés, des zèbres, girafes et autres animaux de la savane souvent sur un fond monochrome. Avec le temps, un décor s'est imposé, composé généralement du Kilimandjaro ou d'éléments botanique de l'Afrique orientale.

Voici quelques dessins qui auraient pu être réalisés si E.S.Tingatinga avait été Nord-africain.






Le succès aidant, son entourage familial et quelques amis se sont joints à lui dans son atelier. Aujourd'hui, la société Tingatinga Arts Cooperative Society, qui fut créée bien après sa mort, est très productive et travaille régulièrement sur des projets d'animation avec de grosses productions comme la BBC ou Disney.

Edward Said Tingatinga est mort en 1972 dans l'accident d'une voiture prise en chasse par la police de Dar es Salaam.



21 septembre 2014

La Gambie

   Le 19 avril dernier, la Gambie fermait sa frontière avec son unique voisin : le Sénégal. Le plus petit pays d'Afrique continentale ne partage qu'une seule frontière terrestre qui s'étend comme un ruban le long du fleuve dont il porte le nom. Le cours d'eau, qui prend sa source en Guinée, coupe littéralement le pays en deux avant de se jeter dans l'Atlantique.




   Du fait de sa particularité géographique, les Gambie (pays et fleuve) scindent le Sénégal et isolent la région de la Casamance du reste de son pays, particulièrement de sa capitale Dakar, et créent une situation d'enclavement propice à un manque d'investissement gouvernemental et à une certaine insécurité. En Gambie, pour traverser le fleuve, la nécessité d'emprunter des bacs aux fréquences de passages aléatoires accentue encore cette rupture Nord-Sud. Aucun pont ne permet la traversée des véhicules et les bacs ne relient les deux rives qu'à deux endroits: entre Barra et Banjul la capitale, et à Farafenni, ville carrefour où la longue queue de véhicules qui attendent fait l'animation.



   Héritée d'une aberration coloniale, la frontière de la Gambie est une barrière géographique, politique et linguistique. Depuis son indépendance et jusqu'à peu, l'anglais était la langue officielle du pays ce qui compromettait sérieusement une fusion logique avec le Sénégal francophone. Le président de la Gambie, Yahya Jammeh, qui voit d'un mauvais œil la période coloniale britannique, a sorti le pays du Commonwealth en octobre 2013 en accusant l'ancien empire en ces termes « Ils ont tué les éléphants et ont fini par vendre les Africains ». Cette année, pour une raison à peu près semblable, l'anglais en tant que langue officielle a été remplacé par l'arabe, langue de la religion majoritaire.

Yahya Jammeh est connu pour son originalité, son homophobie et son intolérance. En 2009 pendant un discours télévisé il disait à son peuple : « Si vous pensez que vous pouvez collaborer avec les prétendues organisations des droits de l’homme et vous en sortir comme ça, vous devez vivre dans un monde de rêves. Je vais vous tuer et rien d’autre ne va se passer. ».
Deux années auparavant, il avait déclaré être en pouvoir de guérir le sida grâce à un traitement à base d'herbes médicinales enduites sur le corps du malade accompagnées d'un récital de versets coraniques. Ses ministres en firent l’expérience avant de se déclarer convaincus.
L'efficacité d'un tel traitement n'est à l'heure actuelle pas prouvée, mais on trouve en Gambie un excellent remède au vague à l'âme :




   Autre personnalité gambienne controversée, Fatou Bensouda, l'actuelle procureure de la Cour pénale internationale (CPI), tribunal chargé de juger à travers le monde les auteurs de génocide ou de crime de guerre. Sa prise de fonction a déclenché de nombreuses critiques en Afrique où l'on reproche à l'institution de servir les intérêts des occidentaux. Les enquêtes menées par la CPI sont avant tout politique et ne touche que des pays africains. Elles sont dirigées notamment par la France et l'Angleterre, les anciennes puissances colonisatrices qui avec l'Allemagne et le Japon assurent à eux seuls la moitié des financement de la CPI. D'autres acteurs majeurs tels que les États-Unis, la Chine et la Russie exerce une forte influence sur cette institution bien qu'ils n'en fassent pas partie. Si l’élection en 2012 d'une gambienne fait croître le mirage d'une influence africaine dans le tribunal, elle est assimilée à une forme de trahison dans l'esprit de nombreux africains.



   On pourrait donc conclure que la Gambie, de part ses personnalités politiques, abrite de drôles d'oiseaux. C'est le cas et, outre une population joyeuse et accueillante, on peut y observer, si toutefois on y est sensible, une avifaune abondante qui trouve refuge dans ce petit pays idéalement placé sur le chemin de la migration entre l'Europe et l'Afrique subsaharienne.

11 août 2014

Le lion

   À l'ombre d'un acacia, repu par 20 kilos de viande de buffle, un sphinx à la gueule largement ouverte baille. Avec sa crinière éclatante et ses yeux dorés brillants, c'est un soleil qui s’assoupit dans la savane. Le plus grand carnivore d'Afrique ne laisse personne indifférent ; dans son milieu certes les mammifères qui sentent sa présence se dressent prêts à cavaler pour échapper aux griffes impitoyables, mais les hommes, qu'ils partagent ou non son quotidien, lui prêtent également une place de choix dans le monde animal et regardent avec fascination ce roi des animaux, ce félin solaire.





Tantôt serein et nonchalant, tantôt agressif et sanglant, le lion est un animal symbolique et mythologique dans toute l'Afrique. Il est utilisé dans de nombreux proverbes, illustre les contes, fleurit les récits de prouesses guerrières. Noble pour certains, il n'en est pas moins vulnérable pour d'autres et sujet aux tracas des souris ou des éléphants. Néanmoins, son rugissement et sa démarche fière sont craints à peu près partout où il réside. Si le lion et la lionne sont vus chez les Bambaras du Mali comme symbole divin d’instruction et d'enseignement, le lion de Juda en Éthiopie symbolise plutôt la force conquérante. Cet emblème de la dynastie royale éthiopienne exhibait fièrement sa tête couronnée sur le drapeau du pays jusqu'en 1974 à la mort de son dernier empereur Haïlé Sélassié.




Si le lion et sa femelle sont de grands chasseurs, ils sont également de grands chassés. Les Massai qui les côtoient sur les grandes plaines Est-africaines sont régulièrement amenés à défendre leur bétail contre les grands félins. Ils ne sont pas les seuls à protéger leurs troupeaux, il fut un temps où dans toute l’Afrique les éleveurs se défendaient du lion. Ce n'est pas une routine de livrer un duel avec le plus grand chasseur d'Afrique. Le combat est en général entouré de rituel, de magie et de sorcellerie et s'inscrira dans les légendes traditionnelles.




Les africains ont, de manière générale, des raisons plutôt légitimes d'affronter le lion alors que les occidentaux chassent cruellement cet animal mythique par simple loisir. En mars dernier des manifestations ont eu lieu en Afrique du Sud et un peu partout dans le monde pour protester contre ce que les anglais qualifient de « chasse en conserve » (canned hunting). Pour cette traque au pays de Nelson Mandela, les lions sont élevés en cage, ils sont affamés peu de temps avant d'être relâchés dans un espace qui leur est totalement étranger et échappent ainsi très difficilement aux balles des chasseurs. Plus de la moitié des individus qui se livrent à cette activité sont des américains, et environ 40 % des européens. Les os de lion seraient vendus 1000 dollars la carcasse en Asie avant d'être revendus en fraude sous forme de gâteaux d'os de tigre à 1000 dollars les 100 grammes...
Mais comme dit le célèbre proverbe : « Tant que les lions n'auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier le chasseur. »




 
Si les cibles ne sont pas les riches chasseurs occidentaux mais d'infortunés africains, les humains paient également un tribu au lion qui se repaît occasionnellement de leur chair. En 2004, un jeune lion tanzanien aurait favorisé dans son régime la viande humaine à celles plus coriaces du buffle et d'autres ongulés car il souffrait d'un abcès dentaire contraignant pour la mastication.

Aujourd’hui, la présence du lion dans une région est le signe de son caractère sauvage et de son intégrité naturelle. Il est un tracas pour les éleveurs, mais de part son attrait touristique il est également une manne pour les pays qui l'abritent. Ainsi, comme pour la plupart des grands mammifères sauvages, sa préservation et la gestion de son milieu sont devenues un enjeux économique et emblématique. Espérons que cette double dimension assurera une certaine prospérité au grand félin africain.






6 juillet 2014

Le Mokélé-Mbembé

Fruit de l'imagination ou observation spectaculaire d'un animal extrêmement rare, les témoignages relatant les apparitions de « Nessie » le célèbre monstre du Loch Ness ont fait le tour du monde. Accompagnée de preuves photographiques et de récits extraordinaires, la légende a pris une telle ampleur qu'un bureau spécialement chargé d’enquêter sur les phénomènes du Loch Ness a vu le jour.
Moins médiatisé, on trouve en Afrique, dans les jungles du bassin versant du fleuve Congo, ce qui pourrait bien être le cousin tropical du monstre écossais. Bien qu'il soit nommé de différentes manières selon le dialecte (la superficie du bassin du Congo s'étend sur une dizaine de pays) les pygmées du Congo l’appellent le Mokélé-Mbembé.






Dépeint par quelques missionnaires et explorateurs occidentaux, il est surtout connu depuis des siècles par la population forestière. Les descriptions changent sensiblement d'une tribu à l'autre mais sa ressemblance avec un dinosaure est unanime : il aurait la taille d'un éléphant, quatre pattes, un long cou, une longue queue et une tête de serpent. Il fréquenterait les berges du fleuve Congo, les lacs et les marécages alentours. D'après leurs témoignages, les pygmées croisent sa route régulièrement et lui attribuent la cause de nombreux accidents, notamment des renversements de pirogues.

En voici une représentation avec des déchets de l'OTRAG en République Démocratique du Congo (cf: le ciel vu de l'Afrique)







Plusieurs expéditions rapportent des preuves de leurs rencontres avec le Mokélé-Mbembé, mais elles sont toutes très contestables. Entre le premier témoignage occidental de 1776 par l'Abbé Liévain-Bonaventure Proyart et les récentes recherches de l'explorateur Michel Ballot, une succession de descriptions, de photos et de vidéos est venue enrichir la documentation autour du monstre. L'espoir de découvrir une telle créature errant en Afrique centrale a attiré un certain nombre de curieux et notamment les cryptozoologues, chercheurs qui traquent les animaux dont l'existence n'est pas prouvée de façon irréfutable. Leur quête est encouragée par la découverte de l'okapi au début du 20ème siècle, une nouvelle espèce proche de la girafe partageant le même territoire que le Mokélé-Mbembé. Cet animal bien connu des pygmées n'a pu être observé que très tardivement par les occidentaux en raison de sa rareté et de ses mœurs très discrètes.









Aux yeux des sceptiques ou de certaines tribus qui côtoient la forêt, le Mokélé-Mbembé est un être purement mythologique, un esprit qui peuple les légendes issues de la longue tradition orale qui relie les peuples du bassin du Congo à leur histoire. D'ailleurs les photographies ne sont pas suffisamment nettes pour distinguer s'il s'agit bien d'une nouvelle espèce animale ou du dos d'un hippopotame et les sillages flous sur les lacs sont souvent l’œuvre de piroguiers.





 
La forêt équatoriale est pleine de beautés fascinantes et de mystères sauvages à l'image de l'okapi. Dans ce sanctuaire terrestre, il semble parfaitement légitime d'imaginer que se cachent encore d'étonnantes surprises.

20 juin 2014

Sur la tombe de Sankara



 La famille de l'ancien président du Burkina Faso affronte en ce moment la justice afin d'obtenir la preuve scientifique qu'il s'agit bien du corps de celui-ci qui repose au cimetière de Dagnoën à Ouagadougou.

11 juin 2014

Catherine Bokassa


   Inutile de prendre la peine de dessiner une carte pour localiser ce pays, la République centrafricaine porte le nom de sa situation géographique. Inutile également de préciser que Catherine Bokassa tient son nom du militaire qui transforma pendant quelques années ce pays au cœur du continent en Empire centrafricain.
Jean-Bedel Bokassa est évoqué dans le livre En attendant le vote des bêtes sauvages par l'écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma en ces termes :
« Le charognard, un dictateur de la forêt centrale de l'Afrique. Totem charognard ou aussi glouton qu'un charognard. L'hyène, un maître en parti unique de l'Afrique orientale. Totem hyène ou aussi sot et criminel qu'une hyène », « Sa langue et ses lèvres piquetaient, elles puaient le miasme de l'anus d'une hyène. »







   En 1977, Bokassa est sacré empereur au cours d'une cérémonie pastiche qui reproduit le couronnement de Napoléon. Il a 56 ans, sa femme Catherine en a 26. Pour lui c'est la réalisation d'un rêve, pour elle, la continuité d'un cauchemar.

   Elle n'a que 15 ans en 1964 quand Jean-Bedel la croise sur le chemin de l'école. Ses soldats la kidnappent et Bokassa la séquestre avant de l'épouser contre son gré. Commence alors la réclusion, une vie de lassitude étroitement surveillée. Elle demande la permission avant chaque sortie, ses employés l'espionnent, le moindre écart nourrit la fureur du mari jaloux . Ils auront sept enfants qui seront eux-mêmes soupçonnés de vouloir profiter des femmes du dictateur. Catherine n'est en effet pas sa première union et huit autres suivront après leur rencontre. Mais c'est elle qui fut choisie pour devenir impératrice.







   Pour les vacances de noël, la famille se rend dans le Val-d’Oise, près de Paris, où Bokassa a fait aménager le château d'Hardricourt. Ici, Catherine est libre de ses mouvements et peut recevoir. Elle est la seule à disposer auprès de Jean-Bedel du statut d'épouse à l’extérieur de son pays et à venir en voyage officiel en France. Elle savoure une situation à l'opposée de celle qu'elle endure dans son pays et profite de l'opulence de l'empire centrafricain. Son budget shopping n'a aucune limite, le luxe français est à son goût et en une journée elle peut dépenser plus de 100 000 francs dans les boutiques du Faubourg-Saint-Honoré, et pas des francs CFA...





   Elle boit de la bière, ce que lui interdit habituellement son mari.






   C'est sans doute pour ce train de vie que la jeune impératrice ne s'enfuit pas.

   Mais fraîchement sacré empereur, Bokassa commence à être victime de l'opinion occidentale qui ne veut plus de ce dictateur sanguinaire. Certaines rumeurs l'accusent même de cannibalisme. Le président français Valéry Giscard-d'Estaing, avec qui il a partagé de nombreuses parties de chasse, convoque Catherine. Il la prévient d'une action prochaine soutenu par l'armée française pour mettre fin au régime de son mari. Elle appelle le dictateur mais celui-ci ne veut rien entendre et choisi d'aller chercher de l'aide auprès de Kadhafi en Libye. Peine perdue, pendant son absence David Dacko prend le pouvoir, l'empire centrafricain redevient république, l'empereur déchu est condamné à l'exil.





   Catherine n'a pas vraiment soutenu son mari pendant sa chute et elle n'est pas partie de Centrafrique sans avoir pris la précaution de remplir quelques malles d'argent et de bijoux. L'ancien dictateur ne cessera de répéter à qui veut l'entendre que sa femme est la maîtresse de Valéry Giscard-d'Estaing. Rumeur qui sera accompagnée d'une célèbre histoire de diamants...



21 mai 2014

L'autruche

   De part son extrême chaleur, ses sécheresses et la désertification qu'elle entraîne, la contrainte climatique du continent africain a généré des modes de vie d'errance et de migration perpétuelle chez les hommes et les animaux. Le continent est peuplé de nomades: touaregs du Sahara voyageurs sempiternelles, gnous et leurs cycles de migration sans répit, peuple Masaï traînant ses semelles en pneu à travers les immenses steppes est-africaine; de l'Atlas au Cap, des traces éphémères de poussières sont creusées par le rythme lent et agité de la survie qui se déplace.
Dans ce flux collectif, dans les ornières du grand déplacement africain, on trouve l'autruche. 



   Pour se nourrir dans les milieux semi désertiques ingrats, le plus grand oiseau du monde doit se déplacer toute la journée à la recherche de l'eau et des végétaux qui constituent son alimentation. Elle passe la période de nidification là où ces denrées sont abondantes, mais le reste du temps elle parcourt de 10 à 40 kilomètres entre le lever et le coucher du soleil. Outre les végétaux, qu'elle consomme en abondance, elle se rassasie éventuellement d'insectes, de petits mammifères, de reptiles, de tortues et d'oisillons. En fait, elle est capable d'ingurgiter à peu près tout et n'importe quoi et avale d'ailleurs l'équivalent de plusieurs poignées de graviers et cailloux par jour pour l'assister dans sa digestion. Elle peut par ailleurs se contenter d'eau salée grâce à une glande nasale qui lui permet d'éliminer l'excédent de sel. 




   Les plumes et la viande de l'autruche ont poussé les hommes à en pratiquer l'élevage. Sans cette mesure l’espèce serait probablement éteinte, laissant un vide dans la savane. Dans ce milieu dangereux, elle tient pour les grands herbivores le rôle de sentinelle. Dotée d'une très bonne vue et d'une grande taille, elle repère les prédateurs et fuit rapidement entraînant avec elle zèbres, gazelles et autres gnous. Perchée sur ses grandes pattes, elle est très rapide et peut courir sur une longue distance à une allure de 50 km/h, voir 70 km/h dans des situations extrêmes. 
 


   Les œufs de l'autruche sont particulièrement gros. De fait, différents rôles symboliques et pratiques leur sont attribués depuis des millénaires. Les carthaginois (établis en Tunisie en 814) décoraient les œufs qu'ils se procuraient grâce au commerce transsaharien avec de l'ocre rouge avant de les déposer auprès des dépouilles de leurs défunts.

   Les Bochimans d'Afrique Australe utilisent les œufs coupés en deux pour en faire des bols. Ils se nourrissent d'abord du contenu sous forme d'omelette et chassent aussi l'oiseau qui fourni environ 100 kilos de viande.
Soigneusement décorés de lanières de cuir, les œufs d'autruche constituent des cadeaux de bienvenue très appréciés en Afrique de l'ouest (Niger/Tchad).


 
   L’œuf et l'autruche sont aussi entourés de toutes sortes de légendes. En Éthiopie par exemple, l’œuf aurait la faculté de protéger de la foudre. Mais si ce n'est dans des descriptions hasardeuses et dans des dessins animés, personne n'a jamais vu une autruche enfoncer sa tête dans le sable...
 

4 mai 2014

La bière et l'Afrique

   Engendrée dans la poussière par la soif et le désir de l'ivresse sous le soleil hurlant qui brutalise la terre, simple morceau de pain de céréale trempé dans l'eau et aromatisé, la bière serait née au Soudan, dans la région du Nil bleu. Après s'être largement répandue, elle se boit maintenant de partout en Afrique. Les ingrédients de la bière artisanale varient tant selon les cultures agricoles que l'on pourrait en dessiner une carte aussi riche qu'une carte de tribus. Orge, banane (cf. ici)  , millet, sorgho, les céréales, tubercules et fruits ne manquent pas pour produire cette boisson millénaire. En général, ces préparations locales contiennent encore des éléments en suspension et ressemblent à de la bouillie. La bière industrielle européenne est arrivée à l'époque de la colonisation pour satisfaire les colons peu sensibles au goût et à l'instabilité de ces recettes artisanales.


   Les bières seront par la suite produites dans les premières brasseries locales et au moment des indépendances dans les brasseries nationales. Aujourd'hui quatre brasseurs dominent largement le continent, Heineken, Diageo, Castel et SAB Miller. Les deux derniers représentant à eux seuls plus de 70 % des ventes. En moyenne un africain ne boit que 10 litres de bière commerciale par an quand un anglais en boit 100 litres. En effet, les bières artisanales connaissent encore largement plus de succès que les bières industrielles. SAB Miller, le brasseur sud-africain a voulu dans son offre saisir cette particularité africaine. On trouve dans sa gamme pour tous les goût et toutes les classes de la population: la "Chibuku" (dont je parle ici), bière traditionnelle au sorgho et au maïs qui fermente dans une boite en carton et qui est vendue 0,50 dollar la bouteille en Afrique australe (Zambie, Malawi...). À peine plus chère on trouve la "Eagle" à base de sorgho en Afrique de l'est (Ouganda, Tanzanie...) avant d'atteindre les bières blondes haut de gamme qui valent au-delà d'un dollar.


   La consommation de bières en Afrique connaît de fortes disparités. Elle est notamment plus faible en Afrique du nord ce qui est à mettre en relation avec l'islam qui interdit l'alcool. Dans certains pays, il faut avoir affaire à des vendeurs illicites pour se procurer de la bière. En novembre dernier des responsables islamistes de la ville de Kano au Nigeria chargés d'appliquer la loi islamique ont annoncé avoir détruit publiquement 240 000 bouteilles de bière pour dénoncer des comportement immoraux. Cependant en Tunisie, on trinque à la santé du lancement de la nouvelle bière nationale, la Berber.
   Les marques de bière sont souvent propre à chaque pays, on trouve la "Béninoise" au Bénin, la "Kuche Kuche" au Malawi, la "Gazelle" au Sénégal ou encore la "Three Horses Beer" à Madagascar.


  
  Les étiquettes (et le nom des bières) sont souvent originales et représentent, en général, un emblème fort du pays. Leur beauté vintage et leur aspect "carte postale" sont un excellente raison pour le voyageur d'en faire la collection.


 
   La bière est une boisson sociale qui accompagne toutes sortes de cérémonies et de fêtes familiales, autant d'occasions de la brasser sous sa forme traditionnelle. Mais elle est, dans les capitales et les grandes villes, plutôt consommée sous sa forme industrielle. Pour de nombreux jeunes citadins africains, un des plus grands plaisirs lors d'une chaude journée est de siroter une bière en terrasse alors que l'équipe nationale de football est en train de briller à l'occasion d'un match décisif de la Coupe d'Afrique des Nations.