26 novembre 2014

Le voyage de Dadis

   Le 28 septembre 2009, répondant à l'appel des leaders politiques de l'opposition, plusieurs dizaines de milliers de guinéens se rendent pacifiquement au plus grand stade de Conakry, le stade du 28 septembre (date clé de l'indépendance du pays). Moussa Dadis Camara, chef d'une junte militaire, est installé au pouvoir depuis plusieurs mois. Il sait que ces manifestations sont dirigées contre lui, et notamment contre son projet de se présenter aux élections présidentielles que les guinéens attendent avec fébrilité. Il interdit les manifestations, en vain, et la répression est extrêmement violente. Des centaines de manifestants sont blessés, au moins 157 décèdent, des dizaines de femmes sont violées, des milliers de guinéens sont traumatisés.


 
   La communauté internationale s’inquiète alors du sort que va pouvoir connaître le pays. Une série de télégrammes diplomatiques américains, publiés par wikileaks et relayés par plusieurs organes de presse, dont Le Monde et Jeune Afrique, révèlent l'aventure rocambolesque de ce dictateur que le conseiller Afrique du ministère français des Affaires étrangères qualifie alors de « fou » et de « dangereux ».


   Français et américains « conviennent que Dadis Camara doit être écarté du pouvoir » et cherchent un pays prêt à l'accueillir. Le Maroc est envisagé, Dadis y cache une grande partie de sa fortune, mais Rabat ne semble pas disposé à le recevoir. Pourtant le 3 décembre 2009, il est évacué d'urgence vers la capitale du royaume qui n'en est pas informé mais qui l'accepte finalement pour des raisons humanitaires.


 
   Le chef de junte vient en effet d'être victime d'une tentative d'assassinat par son aide de camp. Il est gravement blessé, des fragments de balles ont été retirés de son crâne, et d'après le ministre marocain des affaires étrangères il est « conscient » mais tient des propos « incohérents ». Il aurait encore une balle dans la tête et souffrirait d'une vision et d'une locution affaiblies. Les marocains hésitent à laisser Dadis rentrer dans son pays, cependant ils ne souhaitent pas le remettre eux-même à la CPI pour des raisons diplomatiques entre la Guinée et le Maroc. Pour Rabat, la meilleure solution reste alors un rapatriement en Guinée mais Washington insiste lourdement pour que Dadis reste dans le royaume le plus longtemps possible.


   Le 5 janvier, le pouvoir de Dadis Camara est transféré au général Sékouba Konaté qui en échange du soutien de la France et des États-Unis s'engage à ce que Dadis ne soit pas autorisé à rentrer en Guinée. Ce dernier qui a toujours du mal à s'exprimer aurait recouvré « 80 % de ses facultés » et commencerait à se demander ce qu'il fait encore à l’hôpital. Rabat, plus que jamais décidé à s'en débarrasser aurait appelé le chef d'état du Gabon pour lui demander de l'accueillir, ce que Ali Bongo Ondimba refuse. Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères aurait demandé la même chose à Denis Sassou-Nguesso le président du Congo. On s'adresse à l'Arabie Saoudite, on évoque le Sénégal, le Burkina Faso, la Gambie, mais aucune solution ne semble s'imposer. Seule la Libye serait prête a l’accueillir, ce qui n'emballe pas les occidentaux...
   Le roi du Maroc décide alors d'envoyer Dadis à Ouagadougou et ce dernier décolle dans un avion médicalisé en pensant rentrer au pays.
   Le président du Burkina-Faso, Blaise Compaoré, informé peu de temps avant l’atterrissage, fait savoir qu'il ne garderai pas le convalescent plus de 5 jours.
   Aujourd'hui Dadis vit toujours en exil à Ouagadougou. Il a fait un séjour dans sa région natale l'an passé pour les obsèques de sa mère mais attend une heure plus propice pour rentrer définitivement au pays. Les enquêtes sur les massacres du 28 septembre 2009 se poursuivent lentement...