15 octobre 2017

Namibie

La pensée fugace de l'Homme qui devant un paysage singulier envisage qu'il a atteint le bout de la terre s'exprime peut-être en Namibie plus que n'importe où ailleurs. Un voyageur qui traverse l'Afrique d'Est en Ouest, depuis Zanzibar jusqu'à la côte Sud namibienne voit la terre perdre en consistance et en agitation pour se transformer en confins de l'humanité alors que s’installe un climat dont les originalités sont semblables à ce que l'imagination assimilerait aisément aux extrémités du monde. 





Les plantes de Namibie sont étonnantes, les dunes y sont spectaculaires et oranges, la côte est brumeuse, et de grands troupeaux d'autruches se promènent sur des terrains hostiles où quelques touffes d'herbe dorées semblables à des éclaboussures figées se découpent sur un sol sombre et contribuent à simuler l'arrêt du temps et de l'espace.

Outre les autruches, des hyènes brunes tracent de fragiles sillons dans la steppe ainsi que toutes sortes d’espèces singulières, acclimatées, dont la lutte a permis de s'adapter à l’aridité du pays. Ce combat pour l'acclimatation a même favorisé le développement d'une petite population de chevaux qui vivent à l'état sauvage, issus très probablement d'élevages allemands et sud-africains du début du XXe siècle, des individus robustes et athlétiques. En comparaison, les chevaux domestiques de Namibie sont plutôt petits et assez poilus.




La sécheresse et la quasi-permanence du brouillard sur la côte namibienne sont liées au phénomène d'upwelling qui touche l'océan. Le mouvement circulaire du vent qui balaie les côtes dévie l'eau de surface vers le large ce qui provoque une remontée des eaux froides depuis les profondeurs. La fraîcheur de l'eau fait ainsi baisser la température de l'air qui arrive de l'océan. Ce dernier se réchauffe rapidement en pénétrant sur le continent et il condense alors en surface et crée de la brume. Néanmoins l'air froid ne permettant pas d’ascendance, la création de nuage en altitude est compromise et les pluies sont presque inexistantes. Si la faune marine de l'océan, que la température de l'eau favorise, s'en trouve sur-développée, l'aridité côtière et la sécheresse sont le sort du littoral jusque loin dans les terres et les conditions de vie dans le désert du Namib condamnent pour sa survie la faune terrestre à l'errance.





L'atmosphère de néant que diffuse cette fatalité est renforcée par l'absence de populations humaines. Les villes sont éparses, la circulation quasiment inexistante. Est-ce la fin ? Tout le monde est parti ou s'est éteint, est venu s'échouer et ajouter sa carcasse osseuse aux vastes plages de la Skeleton coast. L'ensemble des choses est figé, l'humanité s'est effacée du décor, la forêt de Damaraland s'est pétrifiée et la terre s'est ouverte et se craquelle encore en canyons géants. L'accumulation à outrance du sable et du sel a produit d'énormes tas oranges d'où émergent quelques arbres d'apparence calcinée.
Le pays compte moins de 2,5 millions d'habitants sur environ 824 000 km², soit 3 habitants par kilomètre carré. Si l'on compare, en France on compte environ 99 habitants par km². L'absence de populations sur une si grande surface éveille les soupçons à chaque rencontre. Mais y a-t-il d'ailleurs une menace spécifique ? Certains voyageurs solitaires prétendent chasser des sorcières. Qui sont les sorcières en Namibie ? S'agit-il de vieux démons ? Toutes sortes de bruits courent.
Comme l'eau froide des profondeurs océaniques vient remplir le vide causé en surface par le vent, les légendes viennent combler dans les échanges l'absence de réalité tangible.



Dans le port de Lüderitz, on est très loin de l'habituelle effervescence autour de l’activité portuaire. Ça et là émerge un rail, mangé par le sable et l’inéluctable. Il ne faut pas s'endormir au-delà de minuit sinon le bruit des fantômes de Kolmanskop vous empêche de dormir toute la nuit. À Kolmanskop, les Allemands creusaient la terre pour extraire des diamants mais ils ont quitté le lieu quand le filon s'est tari et c'est aujourd'hui un village déserté qui abrite encore les vestiges d'un opéra. Des maisons bancales émergent encore difficilement du sable et de l'aube du XXe siècle.





Il y a toujours du diamant en Namibie et il constitue d'ailleurs une large part du PIB du pays. Cela favorise un certain inconfort. À droite, à gauche, des panneaux dissuadent de s'introduire dans le désert :



Il ne faut pas s'y risquer; la légende (ou la réalité?) veut que des soldats armés circulent et surveillent les mouvements. Ils tirent si quelqu'un se promène. Alors on vous met en garde, « n'allez pas trop derrière les dunes », même hors des zones diamantifères, il se pourrait que des gens en armes vous dévalisent. Mais le pays n'est pas seulement doté en diamant, il est également pourvoyeur de cuivre, d'argent et il est riche en uranium, à l'instar d'autres pays du continent tels que le Niger, l'Afrique du sud, la Centrafrique et la République Démocratique du Congo. Ce dernier, alors qu'il était encore Congo belge, fournît le précieux minéral nécessaire à la fabrication des bombes atomiques Little boy et Fat man qui dévastèrent Hiroshima et Nagazaki.




L'uranium joue un rôle important dans l'histoire de la Namibie. L'Union sud-africaine, dominion britannique - qui deviendra la république d'Afrique du Sud - conquiert le Sud Ouest Africain Allemand - qui deviendra Namibie - pendant la première guerre mondiale. Confié au dominion par la SDN, le pays est alors occupé par l'Afrique du Sud qui instaure l'apartheid, et exploite les ressources minières jusqu'en 1990, année de l'indépendance de la Namibie. L'historien Apoli Bertrand Kameni souligne que l'indulgence des pays occidentaux vis-à-vis de cette occupation, pourtant jugée illégale par la cours internationale de justice de la Haye à partir de 1971, vient du fait que la légalité de l’extraction minière telle qu'elle était pratiquée pouvait s'en trouver compromise. La mine de Rössing, idéalement située car dotée d'infrastructures de transport et proche de la côte, représentait 10 à 15% des réserves mondiales d'uranium, et donc une source d'approvisionnement inestimable pour les industriels occidentaux. L'historien précise qu'avec l'arrivée sur les marchés d'uranium australien et canadien, l'incident de Tchernobyl, et le déclin de la guerre froide, durant la décennie 1980/1990, l'uranium namibien perdit de sa valeur ce qui favorisa l'indépendance, pourtant souvent associée au caractère idéologique de la guerre froide (les conditions du retrait de l'Afrique du Sud de Namibie comprenaient le départ de troupes cubaines et de leurs conseillers soviétiques d'Angola).




En regardant le pays dans son ensemble avec attention, on distingue lentement la vie qui se déplace tranquillement, les mouvements qui se révèlent et ce que l'on croyait éteint s'agite discrètement. La vie humaine émerge par îlots, une population clairsemée et rare mais variée. La majorité est bantoue, mais il y a une importante minorité blanche et des Khoïsans qui utilisent ce que l'on appelle des langues à « clics ». Les conversations évoquent alors des mélodies étonnantes où se mêlent à des sonorités communes, des bruits semblables à des sifflements de grenouilles ou des percutions de gouttes de pluie sur des objets creux. Les Namas (Khoïsans) et les Héréros (Bantous) ont été, selon certains historiens, les victimes du premier génocide du XXe siècle. Le sort que leur ont fait subir les colons allemands est décrit dans des témoignages remplis de détails atroces.

Mais la population sans doute la plus iconique du pays est probablement celle de la tribu des Himbas du nord du pays. Superbes et élégantes dans leurs tenues de cuir, les femmes se recouvrent de terre rouge et, seins nus elles sont très attirantes et viennent enrichir les émotions tropicales d'enchantement fiévreux. Elles contribuent ainsi au développement du tourisme.





En Afrique australe, d'autres événements sont l'occasion de dévoiler une partie de la nudité féminine. Tout les ans au Swaziland, des foules de jeunes filles viennent faire rebondir leur poitrine devant le monarque de la dernière monarchie absolue du monde. C'est actuellement pour le roi Mswati III qu'environ 60 000 jeunes filles vierges seins nus dansent pour prouver leur loyauté (elles seraient de plus en plus nombreuses chaque année, mais ce chiffre de 2012 est issu des autorités qui ont tendance à le gonfler). Le roi en profite parfois pour choisir une nouvelle épouse parmi elles (il en a 13 à ce jour). Cette cérémonie, la danse des roseaux ou Umhlanga était au départ sensée louer la reine mère plus que le souverain lui-même.




Chez les Zoulous d'Afrique du Sud, une cérémonie à peu près similaire se tient tout les ans en septembre (uMkhosi woMhlanga).



Les filles doivent être vierges, ce qui est d'ailleurs vérifié de manière curieuse pendant la cérémonie. La préservation de cette chasteté serait par ailleurs susceptible de leur épargner une exposition précoce au Sida (le taux de prévalence au Swaziland est estimé par l'ONU à 28%).

Les Héréros seraient arrivés dans cette partie du globe en même temps que les Himbas il y a environ 4 à 5 siècles. Les femmes Héréros n'ont cependant pas les seins nus car les Allemandes qui débarquèrent avec leurs maris colons avaient peur de la tentation et leur ont vite appris à coudre.

Bien qu'étrange et rude, ce pays est beau dans une élégante originalité. Il s'est aussi fait remarquer par la qualité de sa gouvernance. M. Hifikepunye Pohamba, qui fait partie des membres fondateurs de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (SWAPO), la rébellion opposée à l'Afrique du Sud pour l'indépendance de la Namibie, a été président de son pays de 2005 à 2015. Il a été décoré par la fondation Mo Ibrahim et a reçu le prix « pour un leadership d’excellence » de 2014. Il s'est ainsi vu attribuer la somme de 5 millions de dollars sur 10 ans ainsi que de 200 000 dollars par an à vie. Une récompense rare, car depuis, la fondation n'a pas trouvé d'autres chefs d’État à la hauteur. Les années 2015, 2016 et 2017 sont restées sans acquéreur. Une gouvernance exceptionnelle c'est difficile à trouver il faut le reconnaître, en Afrique comme dans le reste du monde.